150 ans de cuisson solaire (suite)
Comme nous l’avons déjà évoqué ici (voir “La zizanie solaire”), Augustin Mouchot est incontestablement le premier à avoir donné une audience internationale à la cuisson/distillation solaire et à l’avoir mise en pratique de manière prolongée.
En 1878, à l’Exposition Universelle, son espace de démonstration se situe, à compter du début septembre, sur le chemin descendant du grand Palais du Trocadéro vers la Seine.
Chaque jour de soleil, dès le début du mois de mai, se sont déroulés des essais de cuisson solaire, devant les galeries de l’Instruction Publique pour commencer, puis après l’achèvement de l’installation du grand réflecteur solaire début septembre, sur la plate-forme où se trouve ce dernier.
Augustin Mouchot termine son congé de mission scientifique du ministère de l’Instruction Publique le 1er octobre 1878.
Trois jours auparavant, il dresse dans une “Lettre-Rapport” au ministre un bilan de ses démonstrations :
« Monsieur le Ministre,
J’ai l’honneur de vous soumettre mes essais d’applications industrielles de la Chaleur Solaire durant l‘Exposition.
Ces essais ont pour but, les uns la cuisson des aliments et la distillation des alcools, les autres l’emploi de la Chaleur Solaire comme force motrice.
Les petits appareils de cuisson n’ont pas cessé de fonctionner durant les jours de soleil. Ils ont constamment captivé l’attention des visiteurs. Des miroirs de moins d’un cinquième de mètre carré construits avec toute la régularité désirable ont suffi pour rôtir un demi kilogramme de bœuf en 22 minutes, pour confectionner en une heure et demie des étuvées qui nécessitent quatre heures avec un feu de bois ordinaire, et surtout pour porter en une demi heure, trois quarts de litres d’eau froide à l’ébullition, ce qui dénotait l’utilisation de 9,5 calories par minute et par mètre carré, résultat remarquable à la latitude de Paris. Les alambics solaires ont également fournis d’excellents résultats. Munis de miroirs de moins d’un demi mètre carré, ils portaient trois litres de vin à l’ébullition en moins d’une demi heure et donnaient une eau de vie fine et franche de tout mauvais goût.
Cette eau de vie soumise une seconde fois à la distillation dans le même appareil, prenait toutes les qualités d’une bonne liqueur de table ; je dois dire que ces derniers résultats, obtenus avec des alambics d’une simplicité primitive, et capables de rivaliser avec les produits des appareils les plus perfectionnés ont beaucoup intéressés les distillateurs de France et de l’étranger.
J’ajoute enfin que les petits appareils solaires affectés soit à la cuisson des aliments soit à la distillation m’ont été beaucoup demandés et spécialement pour les cabinets de physique de Moscou, de New-York, d’Egypte, de Philadelphie, de Suisse, d’Italie et d’Espagne.
(…)
Les résultats que je viens avoir l’honneur d’exposer frappent moins par leur importance que par les conséquences qu’il est permis d’en tirer pour les pays chauds. Aussi, les ingénieurs de toutes les contrées du globe qui sont venus se convaincre à l’exposition du ministère de l’Instruction Publique et au Trocadéro, de la possibilité de faire travailler même le pâle soleil d’automne et qui ont bien voulu suivre attentivement mes essais, en ont-ils emporté la meilleure impression.
J’ai fait tous mes efforts pour m’acquitter dignement de ma tâche. Puissé-je avoir contribué pour ma bien faible part au succès éclatant de notre magnifique exposition!
J’ai l’honneur d’être avec le plus profond respect, Monsieur le Ministre, votre très obéissant et très dévoué serviteur ».
Quelques semaines après la fin de l’Exposition, un quotidien de référence, le Journal des Débats, fait paraître un bilan qui illustre l’audience des essais d’Augustin Mouchot (et de son collaborateur Abel Pifre).
« L’Exposition vient de fermer ses portes. Ce n’est pas une raison absolue pour que nous ne continuions pas pendant quelques temps encore à jeter un dernier coup d’œil sur les galeries et les annexes. Nous nous arrêterons un peu aujourd’hui sur quelques appareils disséminés dans les annexes du chauffage et de l’éclairage.
En descendant le parc du Trocadéro, à gauche, derrière le beau pavillon des forêts, le public s’arrêtait fort intrigué devant un immense cornet argenté, étincelant sous les rayons du soleil. À côté du cornet, on voyait sortir, tout fumant, un bœuf à la mode à l’odeur appétissante ; à côté encore grondait une machine à vapeur sans foyer. De feu, nulle part ! Et cependant le bœuf était brûlant, la machine en pleine pression. Un aide versait plusieurs bouteilles de vin dans un récipient argenté ; quelques minutes après, il retirait du récipient du vin chaud. En deux minutes il préparait un punch. Pas de feu cependant ! Les plus curieux faisaient le tour de cette installation, fouillaient du regard les moindres recoins : pas de feu !
Ils auraient pu chercher longtemps. Un physicien bien avisé, M. Mouchot, avait eu l’idée très louable d’exposer le soleil lui-même et de le faire travailler sous les yeux du public. Le soleil travaille tous les jours tout autour de nous. C’est lui qui fait pousser les arbres, c’est lui qui alimente d’eau les sources et les rivières ; il en fait bien d’autres. Dans la galerie des machines, c’est encore le soleil, le soleil d’autrefois, le soleil préhistorique qui donnait le mouvement à tous les outils. On sait bien, en effet, que le charbon qui brûle ne fait que rendre à la liberté les rayons emmagasinés jadis par le soleil dans les arbres des temps géologiques.
Mais à vrai dire, ce travail colossal et continuel n’est pas tangible ; il ne frappe pas le premier venu, il lui échappe. M. Mouchot l’a rendu palpable en l’utilisant à des usages très connus. On s’en allait convaincu, après avoir visité l’atelier solaire, que le soleil est un travailleur actif et énergique… quand il consent à se mettre bénévolement à la disposition de l’homme.
Dans ce petit coin du Trocadéro, on avait complètement banni la houille, les allumettes et le feu. On s’en passait fort bien, et cependant de tous côtés on voyait l’eau bouillir, les alambics distiller les eaux-de-vie, les fourneaux rôtir des côtelettes, et les machines à vapeur tourner aussi régulièrement que dans la galerie des arts usuels. (…) Les récepteurs solaires du Trocadéro sont capables de faire le tour du monde. »
La cuisson solaire, 150 ans après les avancées d’Augustin Mouchot, connaît depuis peu un regain d’intérêt.
Des recherches pratiques et théoriques continuent d’être menées pour créer des cuiseurs plus fonctionnels, plus faciles à réaliser…
Des ateliers de découverte et construction se développent également, comme ici ce printemps dans la ville natale d’Augustin Mouchot (nous en reparlerons)…
Par ailleurs, plusieurs équipes de recherche du monde entier pronostiquent un avenir nouveau à la cuisson solaire, avec la décarbonation nécessaire de nos économies, la montée des coûts énergétiques, et les impacts sociaux et sanitaires du changement climatique.
Nous en reparlerons également.
https://theconversation.com/la-cuisine-solaire-quand-la-decarbonation-devient-un-plaisir-189608
Une thèse, basée sur l’installation du restaurant Le Présage à Marseille, vient même d’être soutenue au printemps 2024 en France, la première sur la cuisson solaire sans doute depuis longtemps.
https://ecole-doctorale-353.univ-amu.fr/fr/soutenance/3493
Est-il possible d’y voir le signe de l’actualité persistante des réflexions et de la perspective d’Augustin Mouchot ?
Sans doute.
Il aura 199 ans dans deux jours, le 7 avril 2024.
Joyeux anniversaire !
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Frédéric Caille (5 avril 2024). 150 ans de cuisson solaire (suite). Augustin Mouchot. Consulté le 5 novembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/w6bo